Mon quotidien

Alice* m’a appris à mettre des limites

On nous parle souvent des limites durant le cursus de psychologie ; les siennes et celles du patient.  Et ce n’est pas toujours simple de savoir où s’arrêter, où le faire de dire « non » sera à la fois bénéfique pour le patient et pour nous dans la prise en charge.

Depuis que j’ai commencé à travailler en psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, j’avais toujours cette question en suspens dans ma tête. Je sais que créer de l’alliance avec les adolescents peut être difficile, et je sais aussi que les « séparations » en sortie d’hospitalisation peuvent l’être tout autant. Dans un contexte difficile comme celui de l’hospitalisation, l’alliance que l’on crée avec le patient peut être un élément qui peut être déterminant dans la prise en charge, et avec certains profils, il faut pouvoir ajuster ce lien et cette alliance tous les jours, repositionner les limites très souvent pour que cela reste une relation adaptée de travail thérapeutique.

Il y a eu ce moment où j’ai rencontré Alice* durant son hospitalisation. Au début tout se passait bien dans la relation thérapeutique puis petit à petit c’est devenu « trop ».  Dès que je rentrais dans l’unité, Alice me tombait dessus pour que je l’a reçoive tout de suite en entretien, alors que j’avais déjà pu la voir la veille par exemple et que je ne suis à mi-temps pour voir tous les patients de l’unité. Je fais ce que je peux et je m’adapte mais ce jour-là d’autres personnes souhaitaient également me voir. De plus, lorsque j’arrive dans l’unité, je dois d’abord passer au poste de soin pour assister aux transmissions de mes collègues infirmières pour savoir ce qu’il s’est passé la nuit dernière et ce matin avant que les autres membres de l’équipe n’arrivent.

J’ai donc différé la demande plusieurs fois, lorsque ce n’était pas possible pour moi de la recevoir toute de suite, dès que je posais un pied sur le sol de l’unité. Durant cette période, j’ai été appelée plusieurs fois tard dans la journée pour venir en « renfort » lorsque Alice refusait que d’autres membres de l’équipe la prennent en charge. Ce qui est très embêtant lorsque l’on travaille en équipe, car on peut se sentir dépossédé de son rôle de soignant, douter de ses compétences et se sentir impuissant. Je rentrais tard, j’étais épuisée, et chaque journée où je me présentais dans l’unité ressemblait à toutes les précédentes.

Ce qui m’a fait réaliser qu’il fallait que je mette des limites, c’est lorsque Alice m’a dit « vous devez me sauver ». Ce sont des mots très forts qui m’ont fait prendre conscience que quelque chose se jouait dans la relation et que ce n’était ni bénéfique pour la patiente, ni pour moi.

Je me suis affirmée et j’ai posé des limites progressivement avec Alice jusqu’à sa sortie d’hospitalisation pour que ce ne soit pas brutale. Nous avons travaillé la séparation et la prise de rendez-vous avec une autre psychologue en libéral bien qu’Alice voulait absolument continuer avec moi. Cela n’a pas été facile pour moi car je suis quelqu’un qui s’implique beaucoup, sauf qu’à ce moment et avec cette personne j’avais atteint mes limites et il était plus bénéfique pour elle qu’elle puisse investir une autre personne en dehors du milieu hospitalier.

N’ayez pas peur de mettre des limites lorsque cela peut être bénéfique pour le patient. Certaines problématiques demandent que l’on ajuste le cadre en permanence et ce n’est pas quelque chose de facile. Cela ne fera pas de vous un mauvais clinicien de passer la main ou de dire « non », si vous pensez que c’est plus adapté, au contraire. Ne pas être dans la toute-puissance et se questionner est plutôt une qualité.

*Le prénom, le genre et des morceaux de l’histoire ont été modifié afin de préserver l’anonymat de la personne.

Est-ce que vous avez pu vivre des expériences similaires ?

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