Pathologies et soins

Les variations de la normale en psychologie

Aujourd’hui, nous assistons à un phénomène d’étiquetage de tous les comportements qui existent. Tout doit avoir un nom, tout doit être expliqué, parfois même jusqu’à prétendre qu’il s’agit d’un état ou d’une pathologie pour lequel on ne peut « rien », car c’est comme ça et puis c’est tout. Une étiquette qui a parfois comme fonction d’appartenir à un groupe « Hyper-quelque chose » ou « empathes ». Hier encore, je tombais sur un groupe sur les réseaux sociaux réservés aux personnes se revendiquant « hypersensibles » avec en description que c’est un don qu’ils ont reçu. Croyances mise à part, l’intervention divine n’a rien à avoir avec le fait de vous avoir doté d’une plus ou moins grande sensibilité. Par contre la génétique et l’environnement psycho-sociale dans lequel vous avez grandi, oui.

Il existe quelque chose dans le champ de la psychologie et de la psychiatrie que nous appelons les « variations de la normale ». Ce sont des réactions ou comportements qui ne sont pas pathologiques, mais qui peuvent s’écarter légèrement de ce que l’on va attendre de la « norme ». Ces réactions ne sont pas suffisamment intenses ou fréquentes pour acter de quelque chose de pathologique, et pourtant elles existent bel et bien, mais on ne les étiquettes pas pour autant.

Est-ce qu’il vous ait déjà arrivé d’entendre comme une voix qui vous appelle, alors qu’il n’y avait personne ? D’interpréter une information comme étant symboliquement un message qui vous est spécialement destiné ? Ou encore, avoir une réaction émotionnelle démesurée par rapport à une situation ? Vous n’avez pas pour autant été diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie ou de dépression ? Ou une autre étiquette ? Non. Car ces réactions peuvent arriver dans la vie de tous les jours à tout le monde. Les états mentaux sont en constant mouvement et interagissent constamment avec notre environnement. Poser une étiquette sur un de ces mouvements vient figer quelque chose qui ne doit pas l’être.

Si l’on prend l’exemple de la sensibilité, elle est en perpétuel mouvement en fonction d’une infinité de facteurs (schéma, éducation, environnement social dans lequel on grandi, génétique, humeur, situations, hormones, interprétation…). De tout temps, il a existé des personnes plus ou moins sensibles que d’autres. A quel moment la sensibilité est devenu une entreprise qu’il faut absolument gérer ? Pathologiser ? Étiqueter ? La sensibilité (comme tous les états mentaux) a son propre curseur qui se déplace sur le continuum « normal/pathologique », chaque personne va voir son curseur être placé à un endroit différent sur cette ligne et c’est justement cela qui fait qu’on est tous différents (si si!) et que l’on ne va pas réagir de la même façon à un même événement.

Etre « hyper » ou « super » quelque chose ne fait malheureusement pas de vous quelqu’un extraordinaire. (Et en vrai vous n’avez pas besoin de cela pour l’être !). Mais simplement quelqu’un qui a un curseur positionné différemment, ce n’est ni un don, ni une pathologie, c’est une variation de la normale. Tout comme certaines personnes vont être plus sensibles à la douleur physique que d’autres, il en va de même pour les états mentaux (émotions, pensée, …).

Venir figer quelque chose qui est en mouvement constant, c’est ce qui peut le rendre pathologique. Rester coincé dans une difficulté à réguler ses émotions en se disant « hypersensible » par exemple, sera beaucoup plus problématique que d’y influer du mouvement en travaillant sur ses difficultés. Sans compter que l’on peut retrouver l’hypersensibilité émotionnelle dans beaucoup de pathologies telles que les troubles anxieux, la dépression, les troubles de personnalités, le stress post-traumatique, etc… qui nécessite une prise en charge précise. Définir une « norme » à un état mental est extrêmement difficile alors comment pouvons-nous acter d’une caractéristique « hyper » si on ne sait pas sur quelle « norme » ou « moyenne » se baser ?

Que veut dire être « normal » ? Qu’est-ce que cela viendrait dire de moi si je l’étais ? Qu’est-ce que « hyper » vient dire de moi ? Qu’est-ce que cela me donne de plus ? Suis-je obligé de nommer chaque parcelle de ce qui fait de moi un être humain pour me comprendre et m’apprécier ? Ne pas être « hyper » m’empêche -t-il de faire ce que j’ai envie dans la vie ? Est-ce que mes difficultés peuvent s’expliquer autrement ?

Alors oui, être un sorcier avec des difficultés à contrôler « sa magie » ça paraît fun comme ça ! Mais je vous assure que l’on peut aussi être de formidables Moldus !

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3 réflexions au sujet de “Les variations de la normale en psychologie”

  1. bonjour,
    Je suis un peu étonné cette fois par votre positionnement dans cet article, je ressens moins les questionnements qui vous habitent d’habitude mais des certitudes voire un agacement.
    Oui je pense qu’il est important et parfois crucial d’expliquer ce qui fait que telle personne fonctionne de telle ou telle manière, l’étiquette n’est que le nom qui relie à toute une problématique ainsi qu’à la possibilité d’en sortir. Être borderline n’est pas une sinécure, c’est primordial d’enfin avoir cette ‘ étiquette ‘ qui rassure si l’accompagnant sait le dire et le faire. Ou alors on se pose d’éternelles questions qui parfois ont emmené certains aller voir un exorciste.
    Quant aux hypers dont on parle beaucoup en ce moment – peut-être est-ce aussi l’effet de balancier puisqu’avant on ignorait leur existence – ce n’est pas un état printanier, un changement plus ou moins hivernal, ce peut être une manière d’être qui structure une personne dans toutes ses pensées, ses actions et réactions, qui lui construit un masque d’adaptation hyper rigide, qui entraîne son ‘repli ‘ social’ voire une solitude incomprise. Celui qui ressent les lumières , les odeurs comme autant d’agressions, celui qui ‘lit’ en 30 secondes dans chaque personne qu’il croise mérite qu’on le comprenne, qu’on sache entrer en contact avec lui….Il est encore là primordial que ces personnes soient reconnues et aimées pour ce qu’elles sont.

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    1. Bonjour,
      Des certitudes, je ne sais pas, je n’en ai pas eu l’impression. Un certain agacement peut-être bien oui. Je ne parlais pas du tout ici de diagnostics médicaux, mais bien de variations de la normale. Bien sûr que les diagnostics médicaux doivent être communiqués, travaillant en unité de premier épisode psychiatrique, notre équipe annonce très souvent les diagnostics à nos patients et je suis présente pour réaliser de la psychoéducation. Depuis le début de mon cursus j’ai été sensibilisée à cette approche et je pars du principe qu’on peut mieux vivre son trouble si on sait comment il fonctionne. Je n’ai pas eu l’impression de dire le contraire dans cet article ? D’ailleurs j’avais également écrit un article sur le diagnostic en psychologie que vous pouvez retrouver ici, peut-être ne l’avez vous pas lu ?
      (https://psychoandco.home.blog/2021/06/14/le-diagnostic-en-psychologie/). J’ai toujours dit que le diagnostic était nécessaire mais qu’il ne définit pas une personne en tant que telle. Une personne n’est pas son diagnostic et échanger à ce sujet avec mes patients, je le fais très souvent justement pour ne pas qu’ils s’enferment dans une case.

      Vous me parlez de trouble borderline, et je vous rejoins (même si encore une fois, je n’ai pas eu l’impression de dire le contraire) la psychoéducation est primordiale pour n’importe quelle pathologie.

      Ici je parlais bien de variations de la normale, pas de pathologie. Peut être vous sentez vous concerné.e par le sujet des « Hyper » et que je vous ai heurté ? ça n’en était pas du tout le but et je suis désolée si c’est comme cela que vous l’avez pris. On parle de variations de la normale car tout ce que vous me mentionnez « sensibilité à la lumière, aux odeurs, etc… » peuvent être expliqué par autre chose. Si cela peut être expliqué par autre chose, alors on ne peut pas statuer sur un « mot » qui fige ce comportement ou ces manifestations. Cela viendrait pathologiser ce comportement ou cette manifestation. C’est d’ailleurs ce qui est noté dans le DSM « N’est pas mieux expliqué par … ». De plus, il faut pouvoir différencier l’hypersensibilité sensorielle (qu’on peut retrouver dans l’autisme notamment) et l’hypersensibilité émotionnelle (que l’on peut retrouver dans les troubles anxieux, la dépression, le trouble de personnalité borderline, le trouble de personnalité évitante, le stress post-traumatique…).

      L’hypersensibilité émotionnelle, telle qu’elle est décrite dans les livres de développement personnel, n’a pas de validité scientifique. Elle peut être expliquée par autre chose dans la majorité des cas, et ce n’est pas pour autant que je nie la souffrance de la personne, au contraire. Je l’aide à mettre des mots sur ce qui l’a fait réellement souffrir afin qu’elle ait un traitement (psychothérapie ou autre) approprié. Et surtout expliquer que l’on peut prendre en charge une personne en terme de processus lorsqu’il n’y pas d’étiquettes qui convient. Si la difficulté est la dysrégulation émotionnelle sans entrer dans un trouble, alors c’est cela que l’on va prendre en charge. La souffrance d’une personne est légitime quoiqu’il arrive, même s’il y a pas d’étiquette pour l’expliquer en un seul mot. Si vous me suivez régulièrement sur instagram ou ici, vous devriez savoir que mon travail me passionne et que je ne ferais jamais rien pour heurter mes patients.

      J’espère avoir pu répondre comme il faut à votre commentaire. Toutes mes excuses si vous vous êtes senti.e mal en lisant mon article. Bonne journée !

      J’aime

      1. Merci pour cette réponse qui apporte quelques précisions et différenciations..Non je ne vous suis pas sur Instagram, je ne vous connais que par cet abonnement qui me permet de vous lire, autant la pro que la personne dont je reconnais aisément et profondément les qualités humaines. Je regrette d’avoir placé ensemble les termes borderline et hyper sensibilité car effectivement dans le premier cas on est dans une forme de pathologie particulièrement éprouvante pour la personne et les proches alors que dans le second cas il ne s’agit nullement de pathologie mais d’une façon d’être dont j’ignore les causes profondes.
        Mais dans les deux cas je pense que le mot a un sens et est nécessaire pour la personne concernée. Je comprends bien votre agacement relatif à la place prise par une cohorte de professionnels autodidactes concernant l’hypersensibilité mais comme je l’ai écrit, peut-être est-ce un retour du balancier ? Qui se souciait de cela auparavant et encore aujourd’hui ? Autant que des différentes intelligences admirablement décrites par Gardner ..La norme si difficile à décrire était reine..et l’est encore. L’hypersensibilité quand elle est mentale, émotionnelle a un sens, plus qu’une variation mouvante d’une norme insaisissable, elle donne à l’individu qui la porte en soi des ressentis incroyables qui peuvent affecter une vie entière surtout si vous êtes un homme. Vous avez compris que c’est mon cas. Sans une rencontre et quelques livres je n’aurais jamais compris ce que je vivais depuis…toujours et qui m’avait obligé inconsciemment à construire un masque extrêmement solide. J’aime la manière dont Thierry Janssen en parle quand il dit que c’est la société qui n’est pas assez sensible. Quand j’ai découvert l’usage je ne sais où du terme « don » pour en parler j’ai compris qu’il s’agissait d’une Incroyable possibilité ( intelligence intuitive notamment voire clairvoyance) quand la société en l’ignorant ou la réduisant à une variation de la norme en fait un véritable handicap.
        Pour moi communiquer avec une personne qui a peu de sensibilité ou pas .. relève d’un dialogue entre deux espèces différentes.
        Dans notre monde tout est objet de consommation et l’hypersensibilité n’y échappe pas, mais lorsque personne ne s’attache à savoir véritablement de quoi il retourne, certains s’en emparent au risque de dire des bêtises.
        J’espère m’être un peu mieux expliqué même si je ne suis pas entièrement satisfait .

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