Pathologies et soins

Les gestes auto-agressifs

TW Scarifications et autres gestes auto-agressifs.

Dans ma pratique clinique en psychiatrie ado/jeunes adulte, c’est quelque chose que je suis malheureusement amenée à voir très souvent. Les gestes auto-agressifs peuvent prendre plusieurs formes : les scarifications sont les plus courantes, mais les brûlures, les morsures, les strangulations, une légère surdose de médicaments, le fait de se cogner la tête et d’empêcher ses blessures de guérir en font partie également.

Vous l’aurez compris, un geste auto-agressif signifie que la personne se fait volontairement du mal, sans vouloir mettre fin à ses jours, généralement dans le but d’apaiser certaines tensions qu’elle peut ressentir. Les gestes auto-agressifs ne sont pas un trouble à part entière, mais signifient que la personne a besoin de soin et de soutien, c’est un signe qui nous alerte sur la santé mentale de quelqu’un, car souvent ces pratiques peuvent être associées à des idées suicidaires.

Depuis que je travaille dans l’unité et grâce à mes patients, j’ai pu voir qu’il existait une multitude de raison qui pousse quelqu’un à s’auto-agresser : le plus souvent, c’est lorsque la personne se sent submergée par un trop plein d’émotions désagréables et a des difficultés à les réguler ; le geste auto-agressif arrive dans ces moments comme quelque chose qui apporte du soulagement de façon immédiate, mais malheureusement de courte durée. C’est dans ce contexte-là, que la pratique des gestes auto-agressifs peut s’inscrire dans un cercle vicieux tout comme certaines addictions aux substances : tension – automutilation/consommation – soulagement. Ce cercle vicieux, lorsqu’il est très ancré est difficile à défaire.

Parmi les autres raisons énoncées par les différentes personnes que j’ai pu rencontrer, il y a également : s’auto-agresser pour se punir de quelque chose, pour faire face à un traumatisme, pour transformer une douleur émotionnelle (invisible) en une douleur physique (visible), pour reprendre le contrôle sur son corps, pour ressentir quelque chose en cas de sentiment de vide…

Pistes de prise en charge

Le réflexe que l’on peut avoir face à ces comportements, c’est de vouloir les stopper rapidement or comme dit précédemment, c’est un processus long et difficile et il faut pouvoir identifier les déclencheurs qui provoquent ces comportements chez le patient.

Personnellement je travaille deux choses, je m’occupe d’abord de l’aigu et après je peux enchaîner avec le reste. Dans l’aigu, c’est-à-dire lorsque le jeune est envahi par des pensées et des émotions qui le poussent à se faire du mal, je compose avec le jeune pour lui créer un « kit d’apaisement d’urgence ». Apprendre de nouvelles compétences pour apprendre à réguler ses émotions, prend du temps, il me parait intéressant de procurer au jeune des outils qui peuvent l’aider à diminuer ces comportements durant toute la prise en charge.

Ces outils sont des alternatives aux comportements auto-agressifs, ils permettent de détourner son attention de ses pensées, le temps que l’envie de se faire du mal passe. Je crée donc une fiche avec le patient en notant des activités qu’il se sent de faire en se basant sur ce qu’il aime et sur ce qui lui parait possible de mettre en place rapidement. Je n’ai pas de liste exhaustive à vous donner, car chaque fiche est personnalisée, mais voici quelques exemples que les patients ont trouvés, pour vous donner une idée :

  • Caresser son animal
  • Prendre un bain
  • Écouter de la musique apaisante
  • Regarder un épisode de série et évaluer après si l’envie est toujours là
  • Presser de la glace
  • Dessiner sa silhouette et faire des croix sur les parties du corps qu’il/elle veut blesser
  • Écrire sur ce qu’il/elle ressent
  • Dessiner ou colorier des mandalas
  • Appeler un.e ami.e
  • Parler à ses parents
  • Utiliser du Slime
  • Utiliser une balle anti-stress

Lorsque le patient a, à sa disposition des outils pour gérer ses envies de se faire du mal, on peut travailler sur ce qui déclenche ces comportements. Nous pouvons explorer ensemble dans quel contexte cela arrive le plus souvent, les moyens utilisés, l’intensité, la fréquence, l’intention, la fonction et le sens de ce comportement pour le jeune. Créer une alliance avec le jeune est très important sinon vous aurez beaucoup de mal à accéder à toutes ces informations. Puis, ensuite si nous avons le temps durant l’hospitalisation nous pouvons commencer à travailler l’entraînement à la régulation des émotions, un travail sur les croyances irrationnelles et négatives et la résolution de problème.

Le contre-transfert du soignant

Enfin, il me semble important d’aborder le contre-transfert du soignant auquel j’ai déjà pu être témoin dans cette problématique : si en tant que soignant, ces comportements procurent chez vous un malaise, n’hésitez pas à échanger avec l’équipe ou quelqu’un de l’équipe qui est plus familiarisé avec cette problématique. Si vous gardez cela pour vous, il peut y avoir un risque de tomber dans la surprotection du patient ou le jugement. C’est ok de ne pas être à l’aise avec tout, c’est aussi pour ces raisons que le travail d’équipe est important.

Quelques pistes pour les parents

Si votre enfant se scarifie ou se fait du mal de quelques façons que ce soit, vous pouvez :

  • Utiliser le « je » et ne pas tomber dans l’accusation avec le « tu ». Par exemple : « Je m’inquiète pour toi » plutôt que « ce que tu fais est très grave, il faut arrêter« .
  • Valider les émotions du jeune. Ici, il faut être dans l’écoute, sans minimiser le vécu de votre enfant. Utiliser la reformulation peut-être une piste afin que votre proche se sente entendu et compris.
  • Lui demander s’il vit des situations difficiles en ce moment pour entamer le dialogue.
  • Le rendre acteur de la situation en lui demandant s’il a des idées de solutions pour améliorer ce qu’il se passe en ce moment.
  • Le choix du moment pour parler, en dehors de toute tension émotionnelle. Choisissez un moment calme.
  • Lui laisser la place pour s’exprimer
  • Prendre la situation au sérieux quoiqu’il arrive.

Ce qu’il faut éviter dans la mesure du possible :

  • Chercher à contrôler tout ce qu’il/elle fait
  • Supprimer les objets utilisés (il s’agit ici de créer une alliance avec votre proche, en lui montrant que vous lui faites confiance)
  • Demander à voir les blessures de façon répétée
  • S’énerver

La charge émotionnelle peut être extrêmement forte pour le parent, n’hésitez pas à vous-même vous faire accompagner si vous en ressentez le besoin. (Source : LigneParents.com)

Pour ce qui est des références à vous proposer sur cette thématique, c’est en cours de lecture, mais je peux d’ores et déjà vous recommander la chaine YouTube de Selfharmerproblems.

Avez-vous déjà été confronté à cette problématique en tant que patient ? Soignant ? Parent ? Comment cela s’est passé pour vous ? Avez-vous d’autres pistes à nous partager ?

11 réflexions au sujet de “Les gestes auto-agressifs”

  1. Ado, je me scarifiais (et me faisais du mal de plein d’autres manières moins visibles), et les adultes de mon entourage, parents compris, ont eu le drôle de réflexe de me punir pour, de vouloir supprimer le comportement d’auto-agression en me disant que c’était mal, sans se/me questionner de pourquoi je le faisais ni me proposer des alternatives ainsi que de l’écoute. J’ai arrêté de me couper pendant une bonne dizaine d’années, parce que je ne voulais plus de marques sur mon corps, de cicatrices. Mais j’ai continué les gestes autoagressifs invisibles pour les autres, les plus dangereux et nocifs pour moi. Et parfois, récemment, j’ai recommencé à me couper parce que c’est véritablement moins dangereux (comme je le pratique) que les autres choses que je fais. Je sais que c’est très addictif, je suis passée par là ; mais du coup j’ai aussi les informations à disposition pour faire ça sans trop de dégâts, pour prendre soin de moi après, que ce soit physiquement ou psychiquement. Je pense que ça fait aussi partie de ce qui doit être enseigné aux jeunes, pas juste ce qu’ils pourraient/devraient faire à la place de, mais ce qu’ils peuvent faire une fois que ça s’est quand même passé ; sinon, on se retrouve coincé‧e dans un cycle de culpabilisation et auto-détestation ou désespoir et isolement. Aussi, c’est bien que les professionnels de santé comprennent qu’il y a des tas de raisons différentes qui motivent les gestes de self-harm, et parfois (souvent) plusieurs raisons en même temps.

    Je m’entraîne à utiliser d’autres comportements de remplacement, moins nocifs, quand je vais mal mais pas trop trop mal, sinon, si la douleur est trop grande on n’arrive pas à recourir au moyen de substitution. J’ai cherché de multiples solutions de remplacements, c’est bien d’avoir plusieurs outils à disposition (pas trop non plus sinon on ne sait plus vers quoi se tourner).
    Mais aussi, en tant qu’autiste qui a été coupée par l’éducation de ses moyens de régulation émotionnelle naturels (tout ce qui est de l’ordre du stimming, que ce soit certains mouvements, certains sons, certains objets à toucher, etc.), j’essaye de réintroduire tout ça au quotidien, quand ça va bien.
    Quand les comportements autoagressifs augmentent en fréquence et intensité, c’est un signal pour moi-même que trop de choses se passent, ou que je suis confrontée à des ressentis traumatiques, bref qu’il faut que je fasse une pause et que je prenne soin de moi (que je demande de l’aide et du soutien professionnel).

    Voilà pour mon témoignage (même si tu avais sûrement déjà lu les articles que j’avais écrits il y a longtemps là-dessus ^^ )
    J’aime beaucoup ton article, complet et bienveillant 🙂

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    1. Merci beaucoup pour ton retour !! ☺️☺️ je te rejoins complètement, quand un jeune me dit qu’il se coupe je m’assure qu’il sache bien comment faire pour s’occuper de ses blessures après. Et totalement, rien ne sert de faire une très longue liste de comportements de substitution, le tout est que ça convienne à la personne et qu’elle puisse s’y retrouver. Merci encore pour ton petit mot 🙏🏻

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  2. Ah, un autre commentaire, c’est drôle que dans les exemples donnés de ce que font tes patients il n’y a presque rien d’intense/douloureux à part presser de la glace. C’est mon problème dans certaines situations, j’ai besoin de quelque chose d’intense, d’explosif, pas forcément de quelque chose d’apaisant. Un psychiatre m’a dit « taper dans un coussin » et j’avais l’impression qu’on me proposait un brumisateur pour éteindre un incendie.

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    1. Haha c’est intéressant merci je note ! J’ai la tactique de l’élastique aussi mais c’est vrai qu’on a tendance à proposer des choses qui blesse le moins possible. Après le mieux serait de travailler ensemble pour trouver un compromis ☺️

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      1. Oui évidemment si l’on peut avoir des alternatives qui ne font pas mal, c’est le mieux, et je pense que ça conviendra à un certain nombre de personnes surtout ados qui ont du mal simplement dans l’identification/expression des émotions, ou du mal à faire face aux émotions « négatives ». C’est plus compliqué quand c’est lié à quelque chose de plus gros du genre trauma ou autre pathologie ou condition associée, ou quand c’est ancré depuis longtemps…

        J’aime beaucoup lire tes expériences de psy 🙂

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  3. En tant que patiente je me mutile assez fort mais là où ça ne se voit pas. Je suis suivie depuis des années par des psy( chiatre et cologue) mais j’ai tellement ce besoin de relâcher la pression que je vis avec. C’est vrai qu’on apprends assez vite à s’occuper de ses blessures. Ma mère a été au courant un moment étant ado mais après je pense qu’elle a cru que j’avais arrêter.. de temps en temps je le fait sur un bras et ça se voit. Sa réaction face à ça est « continue pas tes études si c’est pour faire ça » alors que pour moi j’ai accepté que mon le moment et encore un moment sûrement c’est un de mes moyens de faire face à la situation. Je sais bien que c’est le reflet d’une détresse mais je vis avec et honnêtement ce n’est pas insupportable a trimballer. J’ai beaucoup aimé le conseil de caresser son animal !

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  4. Bonjour,
    J’ai une amie qui se scarifie, se brûle à force de se gratter… Elle voit psychiatre et psychologue et a été diagnostiquée dépressive, suicidaire, schizophrène et j’en passe. Ses parents font tous les points qu’il faut éviter c’est super… 😅
    Enfin bref elle cache ses émotions négatives avec ses amis et c’est dans ces cas là qu’elle fait de grosses crises…
    Avez vous des solutions qui permettrait de résoudre ce mal être ou autre car elle en a marre de se blesser physiquement mais ne peut pas s’en empêcher…
    J’aimerais l’aider mais à part l’écouter et parler avec elle je n’ai rien de vraiment concret pour faire avancer les choses… (Elle à 17 ans et a commencé un traitement avec des antidépresseurs depuis peu)
    Merci d’avance !
    (Pour me contacter si nécessaire : thibault.perrin1@gmail.com)

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  5. Bonjour,
    J’ai consulté un analyste (car je n’avais pas d’argent -payée au SMIC- et il était le seul à s’adapter à mes revenus) lors de ma vingtaine. A la 3e séance je me suis scarifiée, c’était après mon premier entretien annuel (dans la fonction publique) qui a été catastrophique (propos humiliants et dégradants de ma cheffe à l’époque, après 1 an de harcèlement moral au travail et 1 mois après le confinement de 2020). Je sortais de l’HP où j’avais été hospitalisée qques années plus tôt, pendant 1 mois après un viol (mais le viol que je racontais n’a été cru d’aucun psy, car je cite un des psychiatre « on est pas là pour vous croire »), et sans suivi derrière (ni psychologue, ni hôpital de jour ni rien) – malgré une première TS à mes 24 ans, plusieurs décès dans ma vie et une rupture familiale.
    Lors de la 3e séance avec ce thérapeute avec qui ça avait bien commencé (sauf sa première phrase qui m’a semblée déplacé, à savoir « on va faire en sorte que vous retrouviez de la libido »), celui-ci a vu mon bras avec une scarification, il a été compréhensif. Mais à la 4e séance, 2 jours plus tard, il est arrivé en retard et en colère, regards et gestes agressifs. Il s’est assis et dans un souffle agacé il m’a dit « on va faire en sorte que vous existiez autrement qu’a travers mes scarifications ». C’était tellement violent que je n’ai rien dit. J’ai continué la séance en hochant la tête, a dire « oui oui » à ses propos qui me semblaient, ensuite, totalement hors sol, presque délirants. Après de l’agressivité, il avait l’air perché avec des interprétations échevelées d’éléments familiaux dont je lui avais fait part en amont.
    Je suis partie, j’ai envoyé un sms pour dire que j’étais choqué de ses propos pendant la séance. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir été agressive avec lui à ce moment là et d’avoir été sous le choc. 1 an plus tard, j’ai tenté de mettre fin à mes jours en m’ouvrant les veines avec une lame de rasoir. J’ai tenté de le contacter par courrier papier pour savoir pourquoi il pensait de moi que j’existais qu’à travers mes scarifications. Les lettres me revenaient avec une indication comme quoi il n’y avait aucune personne avec ce nom habitant à cette adresse. Je l’ai appelé en espérant tomber sur lui et lui demander timidement pourquoi il avait eu de tels propos. Je suis tombé sur répondeur à deux reprises. La mayonnaise, là, est montée. Je l’ai allégrement insulté. Il a bloqué mon numéro depuis. Et depuis, je n’arrive absolument pas dépasser plus de 1 rdv quand je vais voir un thérapeute (soit parce que je redoute leur agressivité, soit parce qu’ils sont effectivement agressifs – l’un d’eux m’a même dit « les psy sont agressifs avec vous parce qu’ils ne savent pas comment vous aider » ce que je trouve gravement honteux).

    Avez vous des pistes de lectures de cette situation afin de m’aider à avancer ? merci infiniment à vous (notamment pour avoir lu ce roman!).

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    1. Bonjour,
      Tout d’abord je vous remercie pour votre confiance et votre témoignage … je suis vraiment désolée des situations que vous avez vécu avec ces thérapeutes… un livre ne pourra pas remplacer un réel suivi psychothérapeutique mais je peux vous conseiller quelques lectures : mieux vivre avec un trouble borderline de Catherine Musa, tout ce qui est peut être autour de la régulation émotionnelle (tristesse peur colère de Stéphanie Hahusseau) ; Dans la tête de ma psy et comment choisi le sien. Une consultation Psy sans soucis de Myriam Paperman. N’hésitez pas à fouiner dans l’onglet « bibliothèque tout public » sur le blog pour voir si des choses pourraient vous parler.

      Courage !

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